
La vie aussi a son «archéologie». Sera-t-elle la première archéologie qui s’étendra hors de la Terre? La première archéologie extraterrestre? C’est la question que je me pose depuis que j’ai rendu compte du travail accompli par une équipe australienne d’«archéologues de la vie» au Groenland.
Malgré des dizaines d’années de fouille partout dans l’Univers, nous n’avons pas pour le moment découvert d’endroit recélant de la vie ailleurs que sur Terre. Notre planète s’est formée il y a quelque 4,54 milliards d’années de façon apparemment abiotique. Les plus anciens fossiles non controversés, nous font en effet remonter de 3,5 milliards d’années dans le temps : ce sont des fossiles de stromatolithes.
Ce genre de monticule (image du haut : les stromatolithes de Shark Bay en Australie) abrite des écosystèmes de cyanobactéries. Les bactéries de cet embranchement réalisent la photosynthèse, c’est-à-dire qu’elle transforment la lumière solaire en consommant du dioxyde de carbone pour produire de l’énergie ; au cours du processus, les cyanobactéries d’aujourd’hui créent de l’oxygène et secrètent du carbonate de calcium, en d’autres termes du calcaire. On pense qu’avant que l’atmosphère terrestre ne soit devenue riche en oxygène, des cyanobactéries devaient exister, qui réalisaient une photosynthèse en assimilant le sulfure de soufre (H2S) à la place de l’eau, donc sans produire d’oxygène. Toutefois, ces cyanobactéries archaïques consommaient aussi du dioxyde de carbone, elles secrétaient aussi du calcaire comme celles d’aujourd’hui. C’est pour cette raison que les colonies de cyanobactéries ont toujours édifié dans les mers peu profondes où elles vivent (il leur faut recevoir de la lumière) de petits monticules : les stromatolithes. Ces édifices constituent des signatures aisément repérables de la vie cyanobactérienne et, par là, de la vie.
Les structures coniques des stromatolithes fossiles se retrouvent normalement au sein d’environnement marins fossilisés, donc dans des roches sédimentaires, dont les plus anciennes sont les grès australiens de la formation de Pilbara, vieux de 3,48 milliards d’années:

Jusqu’à présent, il n’avait jamais été possible de dépasser cette date. Toutefois, autour d’Allen Nutman de l’université de Wallongong, c’est ce que pense avoir fait une équipe australienne. Elle a découvert les restes de ce qui serait des stromatolithes conservés par quelque miracle tectonique au sein des roches sédimentaires métamorphiques de la formation d’Isua au Groenland.
Métamorphiques? Des roches sont déclarées métamorphiques lorsque, au cours de leur histoire géologique, elles ont connu un séjour sous les hautes températures et pressions des profondeurs de la croûte terrestre. Normalement, on s’attend à ce que le genre de cuisson à haute profondeur, qui peut, par exemple, transformer des boues argileuses en schistes, fasse disparaître toute matière organique, donc toute trace de vie, mais les édifices stromatolithiques sont faits de calcaires…
C’est ce qui rend ces structures si fascinantes : il s’agit de traces de vie, mais de traces de vie rocheuses, capables de résister bien mieux au temps que les autres traces de vie. Dès lors, ont-elle pu se conserver en partie malgré un séjour métamorphisant dans les profondeurs de la Terre? Les structures trouvées par l’équipe australienne ressemblent à cela:

S’agit-il vraiment de stromatolithes? La question est délicate, car il existe des structures abiotiques ressemblant aux stromatolithes. Quoi qu’il en soit, j’explique dans l’actualité de Pour la Science La vie vieille de 3,7 milliards d’années? par quels arguments les chercheurs sont parvenus à la conclusion qu’il s’agit bien là de stromatholites.
Pour autant, qu’impliquerait la constatation de l’existence d’une vie bactérienne il y a 3,7 milliards d’années?
Cette date tombe dans l’Éoarchéen, qui va de -4 à -3,6 milliards d’années. C’est pendant cette période géologique que la croûte terrestre a commencé à se solidifier, mais la surface de la Terre devait être néanmoins invivable, car la planète était encore soumise à un bombardement d’astéroïdes assez intense. Même pour des bactéries, sa surface devait donc être peu habitable…
Un autre point notable est que le moteur tectonique était seulement en train de démarrer, et l’on estime qu’il n’a fonctionné «normalement» – c’est-à-dire comme aujourd’hui – qu’au bout du premier milliard et demi d’années d’existence de la Terre. La remarque est d’importance, quant à la possibilité de vie pendant l’Éoarchéen, car la tectonique crée les dorsales océaniques (de long volcans médio-océaniques), où – pense-t-on – se seraient trouvés près des sources hydrothermales les premiers habitats viables pour des microorganismes. Aujourd’hui, ce type d’écosystème riche non seulement de bactéries et d’archées, mais aussi de crustacés et de mollusques s’observe par exemple autour des fumeurs noirs, un type de source hydrothermale.
Pour toutes ces raisons, il semble que pendant l’Éoarchéen, l’environnement terrestre était encore trop immature géologiquement et trop violent pour avoir pu accueillir de fragiles formes de vie. S’il y avait quand même déjà de la vie sur Terre, elle semble n’avoir pu qu’être limitée à quelques bulles (la tectonique n’était pas enclenchée) protégées par la profondeur au fond des mers… Rares, de telles bulles de vie ont-elles pu laisser des traces?
Or ce que nous disent les structures présumées biotiques retrouvées dans la formation d’Isua, c’est qu’il y aurait bien eu de la vie à la surface de la planète, puisque les stromatolithes sont des structures se développant dans quelques dizaines de centimètres d’eau, donc pratiquement sur le sol!
Dès lors, l’impression nous gagne que s’il y avait déjà des stromatolithes, donc de la vie dans l’environnement invivable de l’Éoarchéen, c’est que la vie était partout, du moins ailleurs que dans l’enfer éoarchéen, où elle a pu s’introduire et se réintroduire. Partout? Hummm, disons plutôt ailleurs que sur Terre. Cette impression confère du sens aux efforts de la Nasa pour rechercher de la vie sur Mars.
L’«archéologie», enfin la recherche de traces de vie passée, est peut-être en train de s’étendre aux espaces extraterrestres!
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