Une extraordinaire nécropole de l’âge du Bronze, complétée pendant le premier âge du Fer (750 à 450 avant notre ère) par une tombe masculine à char, vient d’être découverte à Lavau près de Troyes (voir ci-dessous). Le spectaculaire trésor qu’elle contient nous fournit l’occasion de nous interroger sur l’influence des cultures méditerranéennes sur la place des femmes au sein de l’élite celte.

Selon moi, les décors de l’œnochoe ont quelque chose en commun avec ceux des bijoux d’une princesse celte enterrée un siècle plus tôt que le Prince de Lavau près de la Heuneburg (voir l’article qui y est consacré dans pour la Science), un grand oppidum hallstattien situé non loin de Stuttgart en Allemagne (voir ci-dessous).

Quoi qu’il en soit, il est frappant de constater que le même art, peut-être étrusque, se retrouve dans deux tombes de l’élite celte, l’une féminine à la Heuneburg, et l’autre, masculine à Lavau. Est-ce là simplement l’illustration du fait que les artisans étrusques savaient s’adapter au client comme à la cliente, et qu’ils confectionnaient des objets féminins destinés aux princesses et des objets masculins destinés aux princes ? Non, car la tombe de Vix, indiscutablement celle d’une princesse, comporte, comme celle de Lavau, un service à boire. Le célèbre cratère de Vix – le plus imposant cratère grec en bronze que nous ayons – est la pièce maîtresse du mobilier de cette tombe. Ainsi, une princesse celte a été portée en terre accompagnée d’un service à boire de symposion, un rite grec typiquement masculin.
Voilà qui nous fournit l’occasion de nous poser un problème scientifique.
Expliquons. Les grands marchands méditerranéens, grecs et étrusques venaient au contact des princes hallstattiens se procurer les esclaves, les métaux (étain), et l’ambre de la Baltique qui pouvaient les rendre riches en Italie. Pour parvenir à leurs fins, ils avaient intérêt à les obliger par de riches cadeaux afin de traiter avec eux sur un pied d’égalité et cherchaient aussi à écouler auprès d’eux les objets de luxe de leurs sociétés. Sans doute est-ce pour cela qu’ils leur ont proposé des ustensiles utiles au banquet, et les ont initiés au symposion, c’est-à-dire au banquet aviné grec. «La mode de célébrer ce rite dionysiaque typiquement grec s’est répandue dans le monde hallstattien à partir de 525 pour durer jusqu’à la fin du premier Âge du fer, vers 450», m’a expliqué Dominique Garcia, le président de l’INRAP, avec qui j’ai visité la nécropole de Lavau.
Or, m’a-t-il aussi expliqué, «les sociétés hallstattiennes étaient les héritières de sociétés de l’âge du Bronze matriarcales», et, du reste, les tombes princières féminines retrouvées tant en Allemagne qu’en France attestent assez que les femmes y jouaient des rôles sociaux importants.
Au contraire, les marchands grecs provenaient de sociétés très sexistes, où les femmes étaient enfermées en permanence à la maison, tandis que l’extrême valorisation du masculin se traduisait par un goût cultivé pour l’homosexualité masculine. Strictement réservé aux hommes, le symposion constituait d’ailleurs le loisir préféré des élites grecques, donc masculines, sans doute parce que selon les conventions sociales, l’esprit dionysiaque y régnant excusait tous les excès de comportement, bref les… gauloiseries en tous genres, y compris sans doute des gaudrioles homosexuelles (les érastes étaient présents) et hétérosexuelles (des hétaïres et autres courtisanes de moindre rang étaient présentes).
Premiers fournisseurs avérés des princes celtes, les marchands étrusques raffolaient aussi des banquets. Comme toute l’élite étrusque d’ailleurs, puisque comme pratiquement toutes les sociétés périméditerranéennes de l’Antiquité, la société étrusque prenait les modes de vie grecs pour modèle. Les Étrusques prisaient donc beaucoup les banquets, mais sans aucun doute dans un autre esprit que les Grecs : dans un esprit familial. Il n’est que d’aller voir le magnifique couple souriant et harmonieux au banquet que montre le fameux sarcophage des époux au Louvre pour ressentir cette différence.
Et les Celtes hallstattiens alors ? La représentation de Dionysos sur l’œnochoe de Lavau suggère qu’ils ont en effet repris la coutume du symposion. Les élites gauloises du premier Âge du fer (900 à 450 avant notre ère) furent forcément constituées d’hommes et de femmes. Manifestement, elles étaient en voie d’acculturation, et donc sans doute portées à intégrer dans leur modes de vie de plus en plus d’éléments et d’usages grecs, ou du moins méditerranéens. Toutefois, comme c’était le cas chez les Étrusques – autre peuple en partie hellénisé – , il est probable qu’elles eurent leur façon de comprendre et de pratiquer les nouveaux us. Si les élites gauloises ont adopté le rite dionysiaque éminemment masculin du banquet grec, se sont elles aussi masculinisées ? Les évidences archéologiques sont contre, puisque nous ne pouvons que constater que le plus imposant service à boire… grec jamais découvert provient de la tombe d’une princesse celte, celle de la Dame de Vix.
Néanmoins, on peut quand même se demander si les Celtes, en recevant le symposion grec, ont aussi adopté tout ou partie du sexisme hellène ? Il est frappant de constater qu’à partir de 450, succède à la société hallstattienne la société laténienne, dominée par les guerriers et, semble-t-il, beaucoup plus patriarcale, quoique plus égalitaire qu’à l’époque hallstattienne. Par vieille galanterie gauloise, c’est à la dame de Vix et à celle de la Heuneburg qu’il faudrait demander si elles buvaient du vin, avant que de le demander au Prince de Lavau… Toutefois, ne le pouvant, c’est à Stéphane Verger, directeur d’étude à l’École pratique des hautes études, dont je sais qu’il a soigneusement analysé la singularité de la tombe de Vix, que je vais poser la question. Peut-être acceptera-t-il de nous donner son avis ?
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